Extrait de l'émission graffiti diffusé sur RCF Orléans le 21 novembre 2006: pour écouter, cliquer ici

Vendredi 24 novembre 2006

La République du Centre. L'invité de la semaine.

Avec Christophe Maltot, metteur en scène orléannais

"Je n'ai pas trouvé d'autre combat que le théâtre pour questionner le monde"


Pourquoi vous consacrez-vous avec votre nouvelle création, "Les hommes désertés", au Cambodge?

Parce qu'ils n'ont pas de théâtre. Le théâtre a été anéanti par les années Pol Pot mais il y a une jeune génération qui pousse, avec une mémoire, une douleur, des choses à raconter au présent et pour l'avenir.

Vous sentez-vous  investi d'une mission?

A Phnom Penh, quand nous avons, cet été, créé ce spectacle, nous avons tous senti que le théâtre y était vraiment synonyme de partage et de libération. Sans être donneur de leçon, je ne comprends pas pourquoi le théâtre parlé ne se développe pas plus dans ce pays qui a autant de choses à exprimer. Je me dois de l'aider et, à terme, je voudrais parvenir à la création d'un atelier, là-bas, pour encadrer un groupe d'acteurs afin qu'ils puissent vivre de leur art au bout de deux ou trois ans. A Orléans, c'est aussi ma façon de faire de la lumière sur les expatriés.

Pourquoi avez-vous tenu à faire appel à des artistes cambodgiens?

Toutes les familles ont été touchées par les années Pol Pot, tous ont une cicatrice, et je pense que c'est important que ce soit eux qui en parlent. Avec cette pièce, ce n'est pas l'histoire avec un grand H qui nous est proposée. "Les hommes désertés" ouvrent le territoire de la poésie et de l'imagination vive où nous invite un auteur dont l'extrême richesse est d'avoir deux origines, d'être coupé en deux puisqu'il est arrivé en France à l'âge de quatre ans et qu'il écrit en Francais.

Que nous dit-il?

Avec une écriture circulaire, il dit le rapt de la vie, pose l'équation amour-coeur-histoire-guerre. A moi, il me révèle que tant qu'on aura pas éradiqué ce qui fait qu'on s'entre-tue, le théâtre pourra continuer.



Des acteurs français et cambodgiens jouent ici ensemble. La langue a-t-elle créé une barrière?

Je pense tout d'abord que la moindre des politesses est d'écouter la langue de l'autre pour parvenir à une meilleure compréhension. Par ailleurs, dans mon travail, j'accorde toujours beaucoup d'importance à la sensation et au corps. Or, dans cette langue, il y a beaucoup de sonorités qui font comprendre le sens de ce qui se dit. Lors de cette entreprise, nous avons reçu quelque chose de formidable et d'universel: si l'on rencontre l'autre dans ce qu'il a de plus généreux, il n'y a pas besoin de connaître le moindre alphabet pour s'entendre. Cela dit, nous avions quand même un traducteur.

A qui s'adresse ce spectacle?

A tous, et en particulier aux jeunes. Lorsque nous avions donné, il y a peu, "Inconnu à cette adresse", nous avons accueilli à la Source une salle entière de lycéens. Les acteurs ont tenu leur partition et, à la sortie, il y avait des jeunes qui pleuraient. Avant la représentation, je leur avais parlé du silence, de l'écoute, du déséquilibre de l'artiste sur la scène et de ce rôle d'acteur qu'a le public. Par ailleurs, je crois que ce qui touche les jeunes est le fait que je travaille des textes que l'on reçoit en pleine face, qui mettent à mal et qui questionne notre sentiment d'humanité. Tout cela pour dire qu'il n'y a pas de frontière et qu'il n'y a pas de privilège de la souffrance.

Quelle suite allez-vous donner à cette création franco-khmère?

Nous monterons à l'automne 2007 une convergence Cambodge où nous créerons une autre pièce de Randal Douc, "Rouge de la guerre". Pourquoi cela? Pour continuer d'affirmer que si l'on a besoin d'historien, on a aussi besoin de théâtre, de ce point de vue sensible de l'artiste pour comprendre le monde.

Propos recueillis par
Jean-Dominique Burtin